A propos de Clémentine Goudiaby Diop
Je suis Professeur d’Histoire et de Géographie à la retraite. Je suis actuellement membre du Comité Consultatif au Ministère sénégalais de la Famille et de la Solidarité Nationale. Je suis élue Présidente du Conseil Diocésain du Laïcat.
“ Mon père, originaire de la Casamance, fut affecté́ en tant que fonctionnaire de l’administration coloniale à Fada-Ngourma au Burkina Faso. Il occupait le poste de sous-ordonnateur des finances. Quand son épouse décéda des suites de la malaria, il prit en secondes noces une Burkinabè, ma mère. C’est ainsi que je suis venue au monde. Peu après son retour au Sénégal, ma mère décéda elle aussi et il me fit rejoindre la famille sénégalaise. J’ai commencé l’école primaire à Saint-Louis puis terminé à Ziguinchor, où j’ai eu mon certificat d’études. En classe de sixième, mon père m’envoie en France pour continuer les études dans un internat de religieuses, à Paray-le-Monial. Chez les sœurs, j’étais tout le temps enfermée, même si j’avais des copines qui me recevaient chez elles et une famille à Marseille pour les vacances. J’y passais quatre années et quand je suis revenue diplômée du BEFM pour des vacances, je suis allée passer le concours d’entrée du lycée Vanvo (actuellement Lamine Guèye) pour rester. J’ai fait deux ans à Vanvo tout en occupant un poste de maîtresse au pair (surveillante d’internat) au lycée de jeunes filles Kennedy et je poursuivais mes études en parallèle. C’est comme ça que j’ai eu mon bac en philo, puis j‘ai continué à l’université en histoire et géographie.
À l’époque, les étudiants allaient de faculté en faculté suivre les cours, pour choisir où s’inscrire. Ainsi, j’ai suivi les cours de droit, ensuite les cours de médecine. Mais nous étions tellement nombreux en médecine, que les salles étaient débordées. D’emblée, le professeur Godet nous a dit “ tous ceux qui ont eu le bac philo, ce n’est pas la peine de traîner ici, car je ne vous laisserai jamais… “ Alors que j’avais abandonné la faculté de médecine, mon ancien professeur d’histoire et géographie du lycée Kennedy, Mme Cheikh Anta Diop, Louise Marie Maes m’a conseillé: “ Faites histoire-géo parce que vous avez un esprit de synthèse. Vous serez bien là “. Effectivement, les matières me plurent beaucoup. J’ai pratiquement sillonné toute la Casamance pour écrire mon mémoire de maîtrise sur la géographie agraire. Mon sujet de maîtrise étant la modernisation de la riziculture en Casamance. “
L’enseignement en Afrique se trouve au cœur des mutations en cours, car l’adoption dans le système éducatif des classes à double flux ou multigrades est due à des fléaux tels que: classes surchargées, matériels inadaptés, carences de maîtres, bref une dégradation du système scolaire. “ En 1971, je fus affectée à Saint-Louis pour prendre mon premier poste de professeur d’enseignement secondaire au lycée Charles de Gaulle. J’y ai passé deux ans. Je suis revenue sur Dakar pour enseigner au lycée de jeunes filles Kennedy, de 1974 à 1984. J’ai demandé une mutation au lycée Limamoulaye de Pikine parce que j’habitais dans la commune voisine de Guédiawaye. J’aimais vraiment ce que je faisais, j’avais de bonnes relations avec mes élèves, et dès le départ je posais les règles du jeu: « Je suis là. Je vous respecte. Vous me respectez. Si cela ne va pas, vous le dites”. Ça s’est vraiment bien passé. Au lycée Limamoulaye, j’avais jusqu’à 85 élèves par classe. Il fallait préparer les cours et surtout corriger les copies des deux matières, histoire et géographie. Dans ces conditions, les enfants ne s’intéressent pratiquement plus aux cours. C’était devenu infernal. En 1996, comme j’en avais assez des classes bondées, je suis partie au ministère de l’éducation nationale. J’ai pris ma retraite en 1999, à 55 ans.
En même temps, j’étais aussi très engagée au sein de ma communauté. Déjà, dans mon périple universitaire,j’étais assez impliquée syndicalement avec Abdoulaye Bathily (historien, universitaire et homme politique sénégalais, plusieurs fois député ́ et ministre) et Mbaye Diack (Ancien président de l’Union démocratique des étudiants du Sénégal (Udes), lors des évènements de Mai 68… Je faisais partie du comité directeur de l’UED (Union des Étudiants de Dakar) et du bureau de l’UDES (Union Démocratique des Étudiants du Sénégal) à la faculté de lettres. J’ai compris plus tard que la plupart de mes camarades étaient engagés dans le parti politique clandestin. PAI (Parti Africain de l’Indépendance), mais je n’étais moi-même pas impliquée politiquement …. Presque tous ceux que je fréquentais sont devenus des politiciens. Quand je suis devenue enseignante, je suis restée dans mon syndicat des enseignants SUDES (Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants du Sénégal)”. En effet, après avoir joué un rôle important dans la lutte pour l’indépendance, l’élite intellectuelle en Afrique, et particulièrement les enseignants, est toujours présente dans toutes les concertations nationales sur l’école au Sénégal.
“Quand j’ai quitté l’université, j’ai pris des responsabilités auprès de ma communauté catholique. Quand je suis arrivée à la paroisse Saint-Jean de Guédiawaye, les messes avaient lieu le samedi après- midi et se terminaient à 18h30. Après la messe tout le monde partait . Un jour, une religieuse nouvellement affectée a sillonné le quartier avec son carnet pour recenser toutes les familles catholiques. Quand elle a terminé son recensement, elle est venue me trouver pour l’aider à créer une association de femmes comme elle l’avait déjà fait à Kaolack: l’Association des femmes catholiques de la paroisse de Guédiawaye. C’est de là que j’ai adhéré à l’Union diocésaine des associations féminines catholiques du Sénégal, ensuite, j’ai été élue présidente nationale. Quand j’ai terminé mes mandats, je pensais que c’était fini, mais on m’a élue au Conseil diocésain du laïcat.
“ Le but de nos rencontres était surtout de répondre aux besoins des femmes. Nous avons commencé par des échanges sur leur parcours puis à faire de la couture, du crochet, puis certaines à transformer les céréales et les légumes. Nous y avons pris tellement goût, que nous nous sommes mises à discuter sur des thèmes en rapport avec la famille, les relations du couple, le budget familial, les cérémonies familiales, le gaspillage, etc… Toutes les questions qui pouvaient intéresser les femmes. C’est comme cela que le noyau a pris forme. Nous avons ensuite cotisé dans notre communauté pour équiper l’église de micros, de ventilateurs et pour la décoration. On discutait de tout sans tabous et les femmes se sentaient vraiment à l’aise. On conseillait certaines personnes qui vivaient des situations difficiles. On organisait des tontines en argent ou en produits alimentaires (diamra). Les différentes associations paroissiales se sont réunies pour créer l’Union diocésaine. De neuf (dont L’immaculée, Saint-Joseph de Medina, filles du Saint-Coeur de Marie, les femmes Capverdiennes…) au départ, elle compte maintenant cinquante associations.
“ Nous vivons la même foi. Nous essayons de progresser dans notre foi et nous discutons de beaucoup de sujets autour de l’évangile, des questions qui ont trait à la spiritualité chrétienne puis nous faisons des prières et nous méditons. C’est-à-dire que nous réfléchissons sur notre être et sur la femme. Est-ce qu’elle doit seulement se limiter au rôle que la société lui donne ? Est-ce qu’elle a ses propres aspirations ? Elle doit s’épanouir dans ce qu’elle fait. Quand on dit à une femme: “ Dangay muñ ”, ce qui veut dire il faut être patiente, il faut accepter, il faut endurer, je demande pourquoi. Je dis non, il faut te battre. Si tu as un mari dictateur, tu te bats pour être libre chez toi et non tout accepter en disant que la société veut cela. Non, tu as ta personnalité, il faut d’abord t’estimer toi-même pour estimer les autres et t’épanouir.
“ J’ai toujours été libre en moi-même. Alors que pour mon père, qui était je ne dirais pas misogyne mais dans la culture Diola, le fils était plus important que la fille quand j‘ai obtenu ma licence et que je lui ai dit fièrement: “Ça y est, j’ai eu ma licence”, il a répondu: “C’est bien, mais si ç’avait été ton frère, j’aurais été plus content”. Ça m’a fait mal et depuis je ne dis pas que je suis rebelle, mais… Si les femmes veulent vraiment se libérer cela doit être une lutte individuelle. Cela peut être collectif certes, mais il faut que chaque femme soit consciente de ce qu’elle est et de ce qu’elle vaut.
“ Dans l’Union diocésaine des associations féminines, nous avons fait le tour des associations paroissiales du Sénégal pour vraiment dire aux femmes quels étaient les objectifs pour être vraiment prises en compte au sein de notre église, jouer notre rôle dans notre église, mais surtout nous former spirituellement et pratiquement. Nous avons notre place et nous jouons un rôle extrêmement important dans l’église. Une paroisse ne peut pas vivre sans les femmes. Mais le problème est que les femmes se cantonnent toujours à jouer leur rôle traditionnel. Quand il y a des activités, des festivités, elles s’occupent toujours de la restauration ou bien de la décoration de l’église, etc… Mais cela vient petit à petit, car si on prend le conseil diocésain du laïcat, qui regroupe tous les mouvements et associations qui existent, cette structure a été créée pour que les laïcs puissent jouer leur rôle dans l’évangélisation”.