A propos de Denise Bindia
Je suis cuisinière diplômée, il y a plus de vingt ans, je suis secrétaire générale du syndicat des employés de maison, SAIEM, depuis quatre ans.
“ Je suis née à Dakar. Mon père vient de la Guinée Conakry et ma mère du Sénégal. Ayant grandi ici, mon père a intégré l’armée, ensuite il a rejoint l’Education nationale comme enseignant. Ma mère était employée d’une société privée. Je suis la troisième d’une fratrie de huit enfants. Nous habitions dans le quartier Castors, puis à Grand-Yoff. J’ai eu mon BFEM au lycée Blaise Diagne, puis j’ai fait ma formation pour devenir cuisinière.
Venant d’une famille modeste, j’ai commencé à travailler tôt pour soutenir mes parents. J’ai voulu être indépendante financièrement. Je me suis mariée à l’âge de 21 ans, j’ai cinq enfants et suis âgée de 48 ans. Dans la famille chez nous, on ne peut pas dire que tout vient de l’homme, car souvent c’est la femme qui soutient financièrement le ménage. Mon mari était secrétaire dans une école et maintenant il est à la retraite.
“ Après ma formation, mon père m’a trouvé mon premier emploi chez un cadre de banque internationale, Abdoulaye Bio Tchané, à l’époque assistant du gouverneur de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. J’ai travaillé chez lui presque dix ans, jusqu’à ce qu’il soit affecté aux Etats-Unis. Il m’a recommandé auprès du représentant du Fonds monétaire international pour mon poste suivant. Durant les vingt ans pendant lesquels j’ai travaillé avec les fonctionnaires internationaux, je peux dire que j’ai bien gagné ma vie. Je me retrouve néanmoins dans la même situation de précarité que mes collègues employés de maison . Dans chacune des familles pour lesquelles j’ai travaillé, je n’ai jamais été officiellement embauchée. Ils ne m’ont jamais donné de bulletins de salaire, ni enregistrés à l’IPRES. Quand j’ai fait des réclamations, on m’a répondu qu’on n’avait pas versé de cotisations pour moi, donc je ne pourrai pas avoir de pension de retraite. Mon ambition est d’ouvrir ma propre société et de former des gens de tous horizons. Car depuis que j’ai commencé à travailler, il y a plus de vingt ans, je n’ai pas trouvé d’avantages à être employée de maison.
“ Cela fait quatre ans que je me suis engagée dans le Syndicat des employés de maison (SAIEM), parce que la manière dont j’ai souffert doit s’arrêter. Il faut changer les choses. Pourquoi les gens ne veulent pas considérer les travailleurs domestiques ? Je me suis dit qu’il fallait que j’essaie de combattre cela. Chaque travailleur et travailleuse cherche à faire valoir ses droits, pour bénéficier de la sécurité sociale, par exemple. Ce sont des emplois précaires, car les patrons peuvent nous renvoyer sans préavis. Dernièrement, une jeune fille m’a contactée en ma qualité de secrétaire générale du syndicat des employés de maison, car sa patronne l’a réveillée vers 00h pour lui signifier son renvoi, en lui disant
“Prends l’argent du transport et sors de chez moi”, sans penser à sa sécurité, en pleine nuit. Ça c’est un crime, c’est très difficile pour la jeune fille. Un des problèmes auxquels sont confrontés les gens de maison c’est l’atteinte à leur intégrité physique. Il y a beaucoup de personnes qui ont vécu différentes violations de leurs droits humains : intimidations, viols, harcèlements sexuels. Nous les soutenons quand elles veulent dénoncer des exactions auprès de la justice, car c’est cela qui permettra de faire connaître nos conditions de travail et de les faire évoluer. Nous cherchons surtout la conciliation pour ne pas faire basculer leurs vies. Quand un employé veut engager une action pour se faire embaucher régulièrement par son patron, après plusieurs années de travail non déclaré, le syndicat vient discuter avec celui-ci pour le pousser à enregistrer l’employé à la Caisse de sécurité sociale et à l’IPRES. Pour éviter les renvois, le syndicat établit le constat que l’employé travaille bien sur place depuis un certain nombre d’années. Si malgré tout, le patron veut renvoyer l’employé, on négocie pour qu’il paie les indemnités. Le syndicat essaie de s’arranger à l’amiable, mais en cas de conflit nous allons à l’inspection du travail. Si le dossier n’aboutit pas à ce stade, nous irons au tribunal du travail.
Le syndicat des employés de maison (SAIEM) se bat pour que le gouvernement vote des lois pour la protection de nos droits. Déjà, il y a un arrêté ministériel qui date du 23 janvier 1968, qui règle les conditions d’embauche et d’emploi. Et en 2011, l’organisation internationale des travailleurs a adopté la convention 189 qui stipule que « le travail domestique continue d’être sous évalué et invisible, qu’il est principalement effectué par des femmes et des jeunes filles, dont beaucoup sont des migrantes ou appartiennent à des communautés défavorisées, et sont particulièrement exposées à la discrimination liée aux conditions d’emploi et de travail et aux autres violations des droits humains ». Mais malgré ces textes de loi sur le personnel domestique, le marché de l’emploi reste “informel” et échappe largement à la législation. Depuis 2012, les organisations féminines ou de travailleurs domestiques font pression pour que le gouvernement ratifie la convention 189 de l’OIT qui offre une protection spécifique aux travailleurs domestiques. Elle fixe les droits et principes fondamentaux et impose aux États de prendre une série de mesures en vue de faire du travail décent une réalité pour les travailleurs domestiques. “C’est autour de cet objectif que j’ai essayé de mobiliser des femmes quand j’ai adhéré au syndicat”.
“J’ai été choisie comme secrétaire générale, car dans ces affaires, j’ai soutenu beaucoup de filles employées domestiques. Aussi, de nombreux patrons me connaissent et viennent vers moi pour que je leur recommande des employées fiables. J’essaie de discuter pour qu’elles aient un salaire décent, je leur donne des conseils pour qu’après la période d’essai (maximum un an prévue par la loi), elles réclament leur embauche.
C’est le troisième syndicat créé pour les employés domestiques au Sénégal. Ce syndicat est affilié à la Confédération des syndicats autonomes qui soutient nos actions. Les autres syndicats nous conseillent ou nous apportent leur soutien lors de nos actions, notamment le CSA, le syndicat des enseignants. Maintenant, je me bats pour que nous ayons notre propre siège, car nous sommes aussi hébergés par la fédération des travailleurs.
“ Je souhaite faire bouger les choses. Les femmes représentent presque 70% de la société, donc une femme c’est noble, on doit la respecter. Quand on va sur les sites d’embauches des gens de maison, à Liberté 6 ou sur le pont de Foire, on voit de nombreuses femmes qui attendent sur le pavé. Je veux que le gouvernement nous soutienne pour avoir notre siège, afin que les travailleurs du secteur puissent avoir un endroit où se rendre, qu’ils puissent remplir des formulaires et laisser des traces, car les agences qui se créent un peu partout ne sont pas fiables, des fois”.