A propos de Ndèye Drame Diallo
Je suis une figure du collectif des familles des victimes du Joola, malgré le drame qui a secoué ma famille, je mets ma générosité au service des femmes. Je suis l’épouse de l’ex maire de Dalifort. En tant que chef d’entreprise, j’ai un rôle économique et contribue à ce que les femmes de ma banlieue accèdent à l’autonomie financière.
“ Mes parents sont originaires de la Casamance ; mon père de Sédhiou et ma mère d’Adéyane, Ziguinchor. J’ai grandi à la SICAP Dieuppeul, à Dakar. Je suis actrice de développement depuis que j’ai perdu mes trois enfants dans le naufrage meurtrier du Joola, le ferry reliant Dakar à Ziguinchor, en septembre 2002. Une amie qui était au ministère de la femme m’a montré comment faire. Je fais du commerce. Je forme d’autres femmes aussi. C’est une thérapie pour moi, car cela remplace d’autres choses. Les gens pensent que c’est pour la politique, alors que je faisais cela avant que mon mari ne s’engage.
“ En 1997, j’avais deux tailleurs qui confectionnaient des habits à la Cité Soprim, aux Parcelles Assainies, que je faisais exporter par l’intermédiaire de ma sœur aînée qui vivait en France. Quand nous avons déménagé ici, j’ai continué petit à petit. En 2002, alors que mon époux était aux Etats-Unis, mes enfants sont partis en vacances chez leur grand-mère maternelle en Casamance. Nous devions rejoindre leur père quand ils ont fait leur voyage sans retour.
Mon mari est rentré. Une année après le drame, j’ai eu une première fille, puis une deuxième, trois ans après. Quand elles ont grandi, j’ai repris mes activités.
J’élevais déjà chez moi entre 100 et 150 poulets. Quand j’ai commencé à avoir des marchés, je me suis lancée dans l’aviculture. J’ai construit un grand poulailler à Yenne. On aurait dit qu’avec le naufrage tout le monde voulait m’aider, donc j’avais des marchés par-ci, par-là. J’ai augmenté mon activité jusqu’à construire deux autres poulaillers.
“ La solitude n’est pas bonne pour moi, car je pense tout le temps à mes enfants et je pleure. Le fait de sortir, d’être en activité m’aide… J’étais engagée dans les GIE où je voyais les femmes se réunir seulement pour cotiser et partir. Je me suis dit que les femmes ne doivent pas rester sans rien faire, elles doivent avoir des activités génératrices de revenus. Je suis allée au ministère de la femme pour trouver des formations. Dans le cadre de l’Association des familles de victimes du Joola, j’ai rencontré la directrice du Développement communautaire du front de terre. Elle a beaucoup compati et nous a orienté vers l’OMFP. On m’a mise en rapport avec un Talla Diouf qui m’a beaucoup aidée quand il a su que j’avais perdu mes enfants. J’ai pu faire de nombreuses formations. Depuis, j’ai effectué de nombreuses démarches auprès des banques pour voir comment financer les groupements de femmes. Une femme que j’ai rencontré là-bas m’a orienté vers la FDEA (Femmes Développement Entreprises en Afrique), institution avec laquelle j’ai beaucoup travaillé. Je me suis rendue compte qu’il y a beaucoup de femmes sans emploi. Je ne supporte pas cette situation. Je les appelle alors et leur demande ce qu’elles feraient si on leur confiait un petit capital. Je leur suggère de réunir cinq à dix femmes dans leur quartier… Finalement, j’ai été élue au conseil d’administration du Crédit Mutuel du Sénégal, à la Caisse de Hann Maristes, pendant huit ans. On accordait des financements aux femmes. Tous les mercredis, avec le PCA on étudiait les dossiers et on organisait le comité local de crédit… J’ai aussi travaillé avec COFINA, la FDEA pour superviser les dossiers des femmes, les rappeler pour leur remboursement de crédit et les conseiller sur la tenue de leur dossier.
“ Les camarades de mes fils passent régulièrement me rendre visite, même si cela ravive le souvenir douloureux du chagrin inconsolable. La naissance de mes filles a beaucoup changé les choses et m’a équilibrée. L’aînée a 18 ans, la plus jeune, 14. On dirait qu’elles me comprennent quand je suis triste et elles m’entourent. Depuis le décès de leur père, elles ne me laissent pas seule. Chaque dimanche, j’allais passer la journée à la SICAP Dieuppeul avec mes parents.
En 2015, mon père est décédé brusquement, puis ma mère en 2019 et il y a peu de temps, depuis peu son mari, en 2021. “ Mon mari était tout ce qu’il me restait. Il était tout pour moi. C’était mon complice. En 2002 un psychologue est venu nous voir pour nous conseiller de nous accrocher l’un à l’autre, de nous compléter. Il a conseillé à mon mari, particulièrement, de prévenir mes moindres besoins, puisque j’étais la plus fragile. Pour lui aussi… La politique a été sa thérapie. Il est entré accidentellement en politique en 2003, alors qu’il était porte-parole du collectif des familles des victimes du Joola. La gestion du dossier du Joola, l’a fait remettre en question le régime en place, parce qu’il n’était pas pris au sérieux par les autorités. Ne sachant plus quoi faire, il s’est dit qu’il fallait entrer en politique pour se faire entendre. Actuellement ce dossier n’est toujours pas traité, alors que le président actuel était ministre des mines à l’époque de la tragédie. Il n’a jamais assisté à l’anniversaire du Joola. Ce sont les familles qui financent la cérémonie.
On faisait tout ensemble. Je voyageais beaucoup. J’allais à Dubaï pour acheter de la marchandise. Je continuais à aller en France pour exporter des habits. En revenant, je passais par la Turquie pour acheter des habits pour les revendre ici. J’aide aussi les femmes en leur remettant une partie de la marchandise. Elles encaissent un bénéfice. Avec cela j’ai connu beaucoup de femmes.
A la question: êtes vous une féministe, je répond d’emblée: “Oui. La solidarité, l’engagement et l’égalité demeurent des principes fondamentaux qui guident la réflexion et l’action féministe. J’ai proposé à mon mari une année, pour la journée de la femme le 8 mars, de changer un peu. Puisqu’on avait fait assez de formations avec les femmes, je préférais qu’on installe maintenant des kiosques. Habituellement, on faisait une grande cérémonie, on exposait les travaux des femmes, les groupements de femmes venaient de partout pour les expositions vente. Le maire appuyait l’événement chaque année. Malheureusement, il meurt brutalement après deux mandats. Il accordait une subvention aux ASC et aux groupements féminins. Il appuyait ma démarche en m’octroyant un financement destiné à la formation pour les femmes. Je rends grâce à Dieu, car beaucoup de femmes dont les maris sont à la retraite ont pu améliorer leur condition de vie grâce à ce qu’elles ont pu apprendre avec nous : transformation de javel, de céréales locales, de fruits et légumes, la savonnerie, la réalisation de sérigraphie sur textiles. Maintenant, la mairie a une maison de la femme en projet.
J’accompagnais mon époux dans ses déplacements pour représenter la mairie. Je m’entends bien avec la jeunesse. Étant une ancienne athlète, j’aime le sport. Naturellement, pendant les navétanes je les suivais au stade, après avoir organisé leur regroupement à la maison. Je les considère comme mes fils, car ils ont l’âge qu’ils auraient eu. Les gens manifestent de la sympathie à mon égard depuis la disparition de mon mari.
Je cherche un rendez-vous avec le ministre de la femme pour solliciter des financements, car nous en avons reçu pour les formations, mais il nous en faut pour nos actions. La mairie ne peut pas tout faire, surtout qu’elle est dirigée par l’opposition au pouvoir en place. Les redevances générées par les impôts ne sont pas reversées dans les caisses municipales. Moi, j’envisage de poursuivre ce que mon époux avait initié pour continuer à aider les femmes, même au-delà, dans d’autres quartiers. J’irai chercher des financements partout, car il reste beaucoup à faire, particulièrement dans la formation. Contrairement à ce que les autorités croient, je suis dans le développement, pas dans la politique qui cherche à corrompre. Plutôt que de donner de l’argent aux femmes, je renforce leurs capacités pour qu’elles puissent être autonomes et indépendantes. C’est ma philosophie.