A propos de Safiétou Ndiaye
Je suis professeur d’anglais, chargée de la formation continue des professeurs d’anglais du Sénégal. Je me retrouve dans le lycée de mes débuts où j’ai pu mettre en œuvre mon premier programme d’enseignement doublé d’activités extra-scolaires.
“J’ai reçu une éducation très stricte. Mon père, qui était commissaire de police, était très sévère. Il est originaire de Dakar et ma mère de Kaolack. Nous avons bougé au gré de ses affectations dans plusieurs régions : Dakar, Thiès, Ziguinchor (où je suis née), Kaolack. Pour lui, les études étaient prioritaires dans notre éducation et nous avions une obligation de résultats. C’est ce qui nous a permis d’arriver là et qu’il nous a guidé.
J’ai 50 ans, mariée sans enfants. Les contraintes familiales n’importent pas ma carrière.
“J’ai effectué tout mon cursus scolaire au Sénégal. J’ai étudié l’anglais au département d’anglais, à l’UCAD. Ma particularité est que j’ai fait trois passages à l’ancienne école normale supérieure, FASTEF. J’ai d’abord été formée à enseigner le français et l’anglais au niveau bac. Je suis revenue l’année suivante parce que j’avais déjà̀ ma licence à cette époque, pour me spécialiser dans l’enseignement de l’anglais uniquement et plusieurs années après je suis retournée à l’UCAD pour compléter et soutenir mon master et je suis revenue à la FASTEF pour faire le CAIES. Munie des trois diplômes d’enseignement qu’offre la FASTEF, je peux dire que j’ai eu la chance d’être bien formée, mais surtout d’avoir essayé́ d’adapter la méthode selon laquelle on doit enseigner l’anglais au Sénégal, que l’on appelle Communicative Language Teaching, qui met l’élève au centre de l’apprentissage et relie le monde réel au contexte de la classe”.
“J’enseigne depuis 1995. J’ai d’abord servi à Louga, puis à Dakar dans différents collèges et lycées notamment à Fadilou Mbacké de Point E. Dans mon parcours il y a des professeurs qui m’ont marqué ; j’imagine que c’est cela qui m’a incité à devenir enseignante. Mais surtout, quand j’ai commencé à enseigner, je me suis rendue compte que j’étais faite pour cela. Il m’est arrivé, étudiante au département d’anglais, d’hésiter entre l’enseignement et l’interprétariat parce qu’on disait que ce dernier ouvre plus de perspectives. Mais quand j’ai commencé la formation pour devenir enseignante, en allant en stage dans les établissements, j’ai compris que j’étais faite pour cela. J’avais envie de contribuer à façonner les citoyens de demain. J’en ai vraiment fait un sacerdoce. Je suis allée au-delà de ce qu’on nous demande de faire en classe, tout en restant en conformité avec le programme national de l’anglais et la loi d’orientation de l’éducation qui nous demande de relier l’école à la vie”.
“ En militante du Project Base Learning (apprentissage basé sur les projets), j’ai développé de nombreux projets pour encourager et inciter les élèves à aimer l’anglais. Par exemple au lycée franco-arabe Fadilou Mbacké, l’accent a été mis sur les activités extra-scolaires, extra-muros et surtout sur le club d’anglais pour aller vite afin de leur permettre d’acquérir le niveau. Dans ce lycée franco-arabe, la langue d’enseignement est l’arabe donc l’anglais est langue vivante 2. Les élèves qui commencent LV2 en quatrième avec un niveau de débutant, doivent passer l’examen du BEFM avec les mêmes épreuves que ceux qui ont commencé l’anglais depuis la sixième. A mon initiative, nous avons créé les tea debates, sur un thème de l’actualité pour développer leur expression orale. Pour lier l’école à la vie on a, par exemple, mené des séances de cuisine où je demandais aux élèves d’expliquer la recette en anglais dans l’optique d’un échange culturel avec leurs correspondants aux États-Unis. Dans le cadre du projet sur la sensibilisation sur les problèmes de l’environnement on a créé un jardin qu’on a appelé English Garden et je demandais aux élèves à leurs heures perdues de venir s’occuper et c’était l’occasion de mettre en pratique des conversations sur le jardinage, sur la protection de l’environnement, tout en s’occupant du jardin. C’était des séances intenses parce qu’il fallait accélérer. Ce n’était pas facile mais ce sont des enfants qui ont beaucoup de volonté et une capacité de mémorisation extraordinaire, parce que beaucoup d’entre eux sont passés par les daras . En quittant ce poste j’ai demandé au directeur de tout faire pour que les élèves commencent l’anglais en sixième. Je n’ai pas eu gain de cause à l’époque mais la collègue qui m’a remplacée a continué le combat et cela a changé. Je pense que c’est maintenant un acquis”.
“ J’éprouve un sentiment de satisfaction d’accomplissement en contribuant aux progrès d’un élève. Par exemple, quand j’ai un élève en sixième et que je le retrouve en troisième au moins j’ai contribué à la formation de cet élève. Parfois dans les scènes insolites de la vie, celles qui réunissent, une élève me dit madame c’est grâce à vous que j’ai choisi de faire anglais ou bien c’est vous qui m’avez inspirée vous m’avez marqué. C’est cela la récompense dans l’enseignement. Parfois les gens me demandent combien d’enfants, je réponds des centaines parce que mes élèves m’appellent maman et c’est une réalité”.
“ Dans d’autres établissements, j’ai été parfois confrontée au manque de motivation des élèves et aux classes pléthoriques. Selon la méthode que prône le programme national d’anglais on doit faire beaucoup de group work et pay work, très difficile à réaliser dans une classe de plus de soixante élèves et de les garder concentrés. Mais notre chance à nous c’est que les élèves aiment l’anglais”.
“ Par ailleurs, on est tous d’accord que l’enseignement ne nourrit pas son homme. C’est une réalité. Il faudrait que l’on valorise davantage la fonction enseignante. C’est le combat que les syndicats sont en train de mener. Personnellement, j’ai réussi à surmonter cela en menant d’autres activités. J’ai enseigné dans plusieurs établissements de formation professionnelle, à l’université notamment, dans des facultés ou dans des business schools, puisque j’ai appris le Business English. Ça me permettait d’arrondir les fins de mois. Je donnais des cours du soir après avoir accompli mon devoir envers l’administration publique. Nos élèves dans les écoles publiques sont notre priorité. Il m’est arrivé de renoncer à des cours dans le privé parce que je devais enseigner dans le public. C’est ma philosophie”.
“ Actuellement, je suis chargée des problèmes d’anglais pour la formation continue des professeurs d’anglais du Sénégal et dans quelques pays de la sous-région dans un organisme international. Je travaille toujours avec les professeurs d’anglais, mais dans la formation. Je voyage beaucoup pour dérouler les programmes d’anglais à travers le pays et la sousrégion. Parce que je connais les réalités, c’est beaucoup plus facile pour moi d’aider les enseignants en termes de formation et de ressources pédagogiques. Les besoins les plus grands sont dans les zones où il n’y a pas d’internet, où il n’y a même pas d’électricité pour la nouvelle génération d’enseignants qui, pour certains, n’ont pas la formation initiale. Ils comptent sur les ateliers, les séminaires pour être au diapason des techniques d’enseignement qui évoluent. Je travaille en étroite collaboration avec le bureau d’anglais du ministère de l’éducation nationale dans sa recherche de la qualité de l’enseignement en leur proposant des programmes. C’est très gratifiant. C’est tellement merveilleux de pouvoir aider quelqu’un à s’améliorer sur le plan professionnel. Ça fait vraiment du bien”.
“ Mon vœu serait qu’on améliore les conditions de travail dans les écoles pour les élèves et que l’on donne aux enseignants les outils nécessaires pour faire leur travail correctement. Les enseignants devraient être traités un peu plus à la valeur de leur travail, à la valeur du coût de la vie, à la valeur du sacrifice qu’ils consentent, car c’est un métier qui est prenant. Il m’est arrivé de venir ici les samedis après-midi, les dimanches. Je le fais d’abord pour mes élèves, que je considère comme mes enfants et j’aimerais qu’ils soient meilleurs que moi. Il faut aussi mériter ce qu’on gagne même si ce n’est pas une somme extraordinaire.
“ Dernièrement, j’ai écrit le roman « Les épines de la vie » dans lequel la majeure partie de l’intrigue se passe à Thiès, qui est la ville qui m’a le plus marquée. C’est l’enseignante qui parle également dans le roman de style réaliste social, des rapports enseignants- enseignés. Il répond à un besoin pressant de partager un point de vue personnel sur les faits de société dont j’ai été témoin dans le milieu éducatif, notamment les relations amoureuses entre professeurs et élèves, ainsi que certains problèmes auxquels les filles sont confrontées que les enseignants ne comprennent pas vraiment. A travers l’héroine, j’ai voulu montrer ce qu’une femme vit.